Déclaration du ministre des Affaires étrangères de l’Arménie lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU

22 septembre, 2023

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Je remercie le Conseil de sécurité d’avoir convoqué cette réunion d’urgence pour discuter de la sécurité et de la situation humanitaire au Haut-Karabagh, résultant de l’offensive militaire non provoquée et bien planifiée de l’Azerbaïdjan.

Alors que la session de l’Assemblée générale des Nations unies est en cours et que tous les membres de la communauté internationale sont réunis ici pour chercher des moyens de maintenir la paix et la sécurité dans le monde, alors que nous parlons tous de l’impératif de condamner le recours à la force, d’empêcher de nouvelles pertes de vies humaines causées par des catastrophes d’origine humaine, alors que chacun d’entre nous vient ici pour contribuer à la paix, dans notre région du Caucase du Sud, le 19 septembre, l’Azerbaïdjan a déclenché une nouvelle offensive de grande envergure contre le peuple du Haut-Karabagh, en violation flagrante du droit international et de la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020. La quasi-totalité du territoire du Haut-Karabagh, Stepanakert et d’autres villes et localités ont été soumis à un bombardement intense et aveugle au moyen de missiles, d’artillerie lourde, de drones de combat et de l’aviation, y compris d’armes à sous-munitions interdites. L’intensité et la cruauté de l’offensive montrent clairement que l’intention est de finaliser le nettoyage ethnique de la population arménienne du Haut-Karabagh.

Les résultats de cette opération militaire de grande envergure révèlent clairement leur nature atroce. Ils sont cependant très préliminaires car, en raison des attaques ciblées contre les infrastructures critiques, telles que les stations électriques, les câbles et stations téléphoniques et les équipements Internet, la population est complètement coupée des autres et privée de la possibilité de présenter la situation en temps réel sur le terrain. De plus, les troupes azerbaïdjanaises contrôlent les routes principales du Haut-Karabagh, ce qui rend impossible les visites et l’obtention d’informations sur le terrain.

Pour l’instant, il y a des cas confirmés de plus de 200 morts et 400 blessés, y compris parmi la population civile, les femmes et les enfants, également acceptés aujourd’hui par le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères. Plus de dix mille personnes ont été déplacées de force, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, qui vivent en plein air, sans nourriture ni autres moyens de subsistance. Des milliers de familles ont été séparées. Si l’on ajoute à cela les quelque vingt mille personnes déplacées à la suite de la guerre de 2020, on constate que les besoins humanitaires sont énormes sur le terrain.

Les gens continuent de mourir de faim en raison des graves pénuries de nourriture imposées par le blocage qui dure depuis 10 mois.

Le système de santé est paralysé. Les hôpitaux n’ont pas d’électricité et manquent cruellement de médicaments. Les gens sont privés de la possibilité de recevoir ne serait-ce que les premiers soins. Sans carburant, les ambulances ne peuvent pas transporter les blessés vers les hôpitaux.

Les images en provenance du Haut-Karabagh sont vraiment choquantes : des femmes, des enfants, des personnes âgées sans abri ni nourriture, des mères qui tentent désespérément de retrouver leurs enfants perdus, des épouses qui pleurent de peur que l’Azerbaïdjan n’emprisonne leurs maris. Il est difficile de croire que tout cela se passe non pas il y a cent ans, mais aujourd’hui, au XXIe siècle, devant la communauté internationale. Les médias sociaux sont remplis d’Arméniens du Haut-Karabagh à la recherche de leurs enfants ou de leurs proches. Les enfants qui sont soudainement apparus pour rester dans des abris ou même dans les rues continuent de pleurer et de demander à leurs parents de les ramener chez eux, refusant de reconnaître qu’ils n’ont plus de maison. Au cours des bombardements, un garçon de huit ans a disparu dans l’une des colonies du Haut-Karabagh, son frère de dix ans a été tué et son corps n’a même pas pu être sorti du village. L’autre frère a été blessé. Il ne s’agit là que d’exemples parmi de nombreux autres cas. Aux yeux de l’Azerbaïdjan, ces enfants sont des terroristes, et les actions de l’Azerbaïdjan, les missiles, les véhicules blindés, l’artillerie et les drones ont été dirigés contre ces enfants, leurs parents et leurs grands-parents.

Les médias sociaux azerbaïdjanais sont pleins d’appels à retrouver les enfants et les femmes disparus, à les violer, à les démembrer et à les donner à manger aux chiens. Les utilisateurs azerbaïdjanais partagent les profils des femmes arméniennes du Haut-Karabagh sur les médias sociaux et font des offres pour savoir qui obtiendra ces femmes à violer, lorsqu’elles seront placées sous la garde de l’Azerbaïdjan.

Chers collègues,

C’était faisable, il y avait des signes clairs. Cela fait longtemps que nous lançons des alertes. La communauté internationale a refusé de le prendre suffisamment au sérieux.

L’agression actuelle est l’aboutissement d’un blocus de 10 mois du corridor de Latchine et d’une famine forcée imposée à la population du Haut-Karabagh. Une grave pénurie de nourriture, de médicaments, de carburant, de gaz naturel, d’électricité et d’autres biens essentiels avait déjà conduit la population vulnérable du Haut-Karabagh au bord de la catastrophe humanitaire. Il faut être naïf pour penser que cela n’a pas été pensé avec précision depuis ou même avant l’institutionnalisation du blocus inhumain dans le but d’abattre la volonté et la capacité du peuple du Haut-Karabagh à résister et à maintenir sa vie et ses moyens de subsistance dans sa patrie ancestrale. L’agression azerbaïdjanaise qui s’est déroulée avec une barbarie explicite et en prenant délibérément pour cible les populations civiles et les infrastructures a été l’acte final de cette tragédie visant à l’exode forcé du peuple du Haut-Karabagh.

Lorsque l’Azerbaïdjan a bloqué le corridor de Latchine et que nous avons demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies en décembre 2022, ce Conseil n’a pas réagi de manière adéquate,

Lorsque la Cour internationale de justice a adopté, le 22 février et le 6 juillet 2023, des ordonnances juridiquement contraignantes et que l’Azerbaïdjan n’en a pas tenu compte - ce Conseil, en tant qu’auguste organe chargé de veiller à la mise en œuvre des ordonnances de la CIJ, n’a pas réagi de manière adéquate,

Lorsqu’en avril, l’Azerbaïdjan a mis en place un point de contrôle illégal dans le corridor de Latchine et a ensuite commencé à kidnapper des personnes, y compris des personnes protégées par le droit humanitaire international, la communauté internationale n’a pas pris les mesures adéquates,

Lorsque l’Arménie a demandé une nouvelle fois une session d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies en août 2023 - en mettant en garde contre la fragilité de la sécurité et de la situation humanitaire et en demandant au Conseil d’utiliser sa boîte à outils pour traiter toutes les questions et ne pas laisser la population du Haut-Karabagh à la traîne, ce Conseil n’a pas réagi de manière adéquate,

Dans les jours qui ont précédé l’agression azerbaïdjanaise du 19 septembre, lorsque l’Arménie a tiré la sonnette d’alarme sur l’éventualité d’un recours à la force par l’Azerbaïdjan et a demandé des mesures et des actions concrètes pour empêcher ce scénario, la communauté internationale a réagi à notre mise en garde avec scepticisme.

Aujourd’hui, alors que l’Azerbaïdjan a déjà recommencé à utiliser la force contre le peuple du Haut-Karabagh, alors que ce peuple est expulsé de force de ses maisons et risque d’être expulsé de force de sa patrie, alors que de nombreuses personnes qui ont défendu leurs familles ont été expulsées de force de leurs maisons et risquent d’être expulsées de force de leur patrie, lorsque de nombreuses personnes qui défendent leur famille et leur droit à vivre dans la liberté et la dignité dans leur patrie depuis 30 ans risquent d’être arrêtées et poursuivies en masse, lorsque nous sommes dans une situation où il n’y a plus d’intention, mais des preuves claires et irréfutables d’une politique de nettoyage ethnique et d’atrocités de masse - le Conseil de sécurité des Nations unies doit agir.

Malgré l’acceptation de toutes les demandes de la partie azerbaïdjanaise pour mettre fin à l’effusion de sang et les pourparlers en cours aujourd’hui, la population du Haut-Karabagh a de nouveau été soumise à des attaques utilisant des armes de différents calibres et des mortiers, ce qui a forcé les civils à se réfugier une fois de plus dans les sous-sols. Nous pensons que ces attaques et ces persécutions se poursuivront à moins d’une action internationale claire.

Par ailleurs, en ce qui concerne les demandes mentionnées, je voudrais déclarer très clairement et sans équivoque que la République d’Arménie n’a pas participé à ces discussions et nous réitérons résolument que les affirmations et les références à la présence de tout personnel militaire des forces armées de la République d’Arménie dans le Haut-Karabagh ne correspondent pas à la réalité.

Dans cette tentative, nous voyons clairement l’intention de certains acteurs d’impliquer la République d’Arménie dans des actions militaires, transférant ainsi les hostilités sur nos territoires souverains. La position de l’Arménie reste fermement la même : nous devrions établir des relations pacifiques basées sur la reconnaissance mutuelle de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, ce qui ne peut en aucun cas être mal interprété et utilisé comme une autorisation pour des atrocités de masse, y compris des nettoyages ethniques dans le Haut-Karabagh. Les droits et la sécurité du peuple arménien du Haut-Karabagh doivent être dûment pris en compte et garantis au niveau international.

Il y a également un autre aspect très important concernant les parties impliquées. Comme je l’ai noté, certains d’entre vous, dans leurs déclarations, lancent encore des appels généraux aux parties au conflit. Cette approche et cette terminologie ne sont plus pertinentes. Il n’y a plus de parties au conflit, mais des auteurs et des victimes. Il n’y a plus de conflit, mais un danger réel de crimes atroces. Est-il encore possible de les prévenir aujourd’hui ? Nous sommes ici parce que nous le croyons. Parce que nous croyons encore en l’humanité, au droit international et à la capacité du Conseil de sécurité d’agir de manière décisive lorsque des milliers de vies sont en jeu.

Monsieur le Président,

Dans ce contexte, j’en appelle encore et encore au Conseil de sécurité pour qu’il démontre sa crédibilité et sa réputation en prenant les mesures urgentes suivantes :

  • Condamner la reprise des hostilités et le ciblage des installations et infrastructures civiles,
  • Exiger le plein respect des obligations découlant du droit international humanitaire, y compris celles liées à la protection des civils, en particulier des femmes et des enfants, et des infrastructures civiles essentielles ;
  • Déployer immédiatement une mission interinstitutions des Nations unies au Haut-Karabagh dans le but de surveiller et d’évaluer la situation des droits de l’homme, la situation humanitaire et la situation en matière de sécurité.
  • Assurer l’accès sans entrave des agences de l’ONU et d’autres organisations internationales au Haut-Karabagh, conformément aux principes humanitaires.
  • Veiller à ce que les parties coopèrent pleinement et de bonne foi avec le Comité international de la Croix-Rouge pour faire face aux conséquences des actions militaires, y compris l’enlèvement et l’identification des corps, la recherche et le sauvetage du personnel disparu, la libération des prisonniers de guerre, l’acheminement sûr et sans entrave de l’aide humanitaire, dans le strict respect du droit humanitaire international.
  • Assurer le retour des personnes déplacées au cours de la récente agression, ainsi que des personnes et des réfugiés déplacés à la suite de la guerre de 2020, dans leurs foyers sur le territoire du Haut-Karabagh et dans les régions adjacentes, sous la surveillance et le contrôle des agences compétentes des Nations unies, comme le prévoit la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020.
  • Assurer le rétablissement immédiat des approvisionnements essentiels, y compris la nourriture, les médicaments, le carburant, le gaz et l’électricité.
  • Exiger le rétablissement immédiat de la liberté et de la sécurité de circulation des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine, conformément aux décisions de la CIJ.
  • Assurer un mécanisme international durable de dialogue entre les représentants du Haut-Karabagh et les autorités de Bakou pour traiter les questions liées aux droits et à la sécurité des Arméniens du Haut-Karabagh.
  • Exiger le départ de tous les corps militaires et répressifs azerbaïdjanais de toutes les installations civiles du Haut-Karabagh afin d’éviter la panique, les provocations et l’escalade, mettant en danger la population civile jusqu’aux résultats des négociations.
  • Exclure toute action punitive à l’encontre des représentants et du personnel politique et militaire du Haut-Karabagh.
  • Créer la possibilité d’une force de maintien de la paix mandatée par les Nations unies pour maintenir la stabilité et la sécurité dans le Haut-Karabagh.

Enfin,

Monsieur le Président,

Chers collègues,

Je voudrais souligner que nous célébrons aujourd’hui la Fête de l'Indépendance de la République d’Arménie et je voudrais féliciter mes compatriotes en cette occasion très importante et symbolique.

Կեցցե՛ Հայաստանի Հանրապետությունը:

Merci beaucoup.

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