Interview du ministre des Affaires étrangères d’Arménie Ararat Mirzoyan au magazine Nouvelles d’Arménie

03 novembre, 2021

Dans quelle situation géopolitique se trouve aujourd’hui l’Arménie un an après la guerre des 44 jours ? Et comment voyez-vous l’avenir de la région?

L’agression déclenchée par l’Azerbaïdjan contre l’Artsakh a eu de graves conséquences pour le peuple arménien et a entraîné de nouveaux défis pour la sécurité et à la stabilité régionale.

Même si la déclaration tripartite signée le 9 novembre 2020 par l’Arménie, la Russie et l’Azerbaïdjan a stoppé les opérations militaires, la situation demeure tout de même fragile. Cela est dû au non-respect de la part de l’Azerbaïdjan de certains de ses engagements pris dans le cadre de la déclaration susmentionnée, plus particulièrement par la déformation de certaines notions, par le maintien en détention des prisonniers de guerre et de civils, tout comme par la persistance d’une rhétorique belliqueuse et expansionniste, par des revendications à l’égard du territoire souverain de l’Arménie et par une menace renouvelée de recours à la force.

Ce comportement de l’Azerbaïdjan exerce une influence non seulement sur l’Arménie, mais aussi sur les autres pays de la région, ce à quoi nous avons été confrontés, par exemple, à l’occasion des actes inadmissibles entrepris contre le transit des transports de marchandises. Hélas, l’incitation de la part de pays tiers à ce comportement, à cette rhétorique belliqueuse de haine anti-arménienne crée des obstacles supplémentaires à la stabilité dans la région.

Cependant, l’Arménie poursuit ses efforts en vue de l’instauration d’une paix durable dans la région. La volonté de contribuer à l’ouverture d’une ère de développement pacifique est clairement inscrite dans le programme du gouvernement de notre pays. Je suis persuadé qu’en cas de démarches constructives et d’expression d’une volonté politique correspondante de la part des autres pays, toutes les conditions indispensables seraient réunies pour entamer des discussions actives autour de l’agenda que je viens de mentionner.

Au mois de septembre dernier, après une longue interruption, une rencontre entre les coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE et les ministres des Affaires étrangères de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan s’est tenue à New York. Cela annonce-t-il une reprise du processus de paix? Peut-on y voir des perspectives dans cette direction?

Malgré les assertions de la plus haute direction de l’Azerbaïdjan affirmant que le Haut-Karabagh et le conflit du Haut-Karabagh n’existent pas, les Etats coprésidents du groupe de Minsk, tout comme de nombreux autres pays, partagent la position de la partie arménienne qui, elle, soutient que le conflit du Haut-Karabagh continue à demeurer non résolu et exige un règlement global au travers de négociations pacifiques menées sous le mandat de la coprésidence du groupe de Minsk de l’OSCE. La République d’Arménie se dit favorable à la reprise intégrale du processus de règlement de la question.

Par conséquent, nous considérons que les rencontres  à New York sont importantes en premier lieu parce qu’elles permettent d’examiner et de chercher des solutions aux questions humanitaires urgentes qui concernent surtout la libération de tous les prisonniers de guerre et otages civils arméniens, l’enquête sur le sort des soldats et des civils portés disparus, ainsi que la conservation du patrimoine culturel et religieux arménien des territoires de l’Artsakh passés sous contrôle azéri.

La solution de ces problèmes humanitaires primordiaux créera les conditions nécessaires à la reprise de discussions substantielles visant le règlement durable et global du conflit du Haut-Karabagh dans le cadre de la coprésidence du groupe de Minsk et sur la base des principes et éléments reconnus, dont le droit à l’autodétermination des peuples.

La France ou les Etats-Unis sont-ils aujourd’hui d’une quelconque utilité dans la résolution du conflit? Est-ce qu’il y a eu un changement d’attitude des coprésidents après la guerre?

La Russie, les Etats-Unis et la France en leur qualité de membres de la coprésidence du groupe de Minsk de l’OSCE, unique format disposant d’un mandat international chargé du règlement du conflit du Haut-Karabagh, ont toujours joué un rôle important dans le processus du règlement pacifique du conflit.

Pendant la guerre des 44 jours, les pays coprésidents ont fait des démarches pour faire cesser les opérations militaires ; des efforts grâce auxquels des accords de cessez-le-feu avaient été signés avec la médiation de la Russie le 10 octobre 2020, de la France le 17 octobre et des Etats-Unis le 25 octobre, mais qui avaient tous été violés par les forces armées azerbaïdjanaises.

Après la signature de la déclaration tripartite du 9 novembre 2020, les coprésidents du groupe, tout comme les représentants de haut rang des pays coprésidents se sont exprimés au sujet d’un règlement futur du conflit du Haut-Karabagh sous l’égide de la coprésidence du Groupe de Minsk, et de toute une série de problèmes humanitaires qui en ont découlés. Je tiens à rappeler, à ce sujet, les déclarations conjointes des coprésidents datées du 3 décembre 2020 et du 13 avril 2021, où sont clairement indiqués les points prioritaires pour un processus pacifique, qui pourraient jeter les bases d’une reprise des négociations en s’appuyant sur les éléments et les principes connus des deux parties.

Nous apprécions les efforts conjoints et persistants visant au règlement du conflit du Haut-Karabagh et à l’instauration de la stabilité et de la sécurité dans la région, de la part de la Russie, des Etats-Unis et de la France, aussi bien au sein du groupe de Minsk de l’OSCE qu’en dehors de ce format. Je souligne l’importance des efforts de médiation à venir entrepris par les pays coprésidents à leur plus haut niveau pour régler le conflit du Haut-Karabagh.

Quelle est la position de l’Arménie sur la normalisation des relations avec la Turquie? Pouvons-nous nous attendre prochainement  à de nouveaux développements?

Dans le programme de notre gouvernement il est stipulé que l’Arménie est prête à normaliser ses relations avec la Turquie sans précondition.

L’absence de relations diplomatiques entre l’Arménie et la Turquie, les frontières fermées, l’engagement évident de la Turquie dans la guerre des 44 jours et les déclarations venant actuellement d’Ankara sur ce qu’ils appellent le « corridor du Zanguezour », exercent une influence négative sur la stabilité dans la région.

Néanmoins, le Premier ministre Nikol Pachinian, dans ses interventions publiques, a exprimé la position de la partie arménienne : en cas d’une volonté de la part de la Turquie de normaliser les relations et en cas de démarches correspondantes, l’Arménie sera prête à étudier les possibilités d’une mise en place de relations bilatérales.

En même temps, je souhaite rappeler qu’en ce moment aucun processus de négociation n’est en cours.

Peut-on à la fois dépendre de la Russie sur le plan militaire et s’ouvrir sur l’Europe ? 

Les priorités de la politique étrangère de la République d’Arménie sont également inscrites dans le programme du gouvernement. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, nous avons des relations d’allié avec la Fédération de Russie et notre coopération multidimensionnelle comprend le domaine politico-militaire, sécuritaire et des secteurs aussi variés que l’économie, l’énergie, les infrastructures, l’humanitaire et la culture.

En même temps, l’Arménie tient au développement d’une collaboration avec l’UE et les pays de l’UE dans les formats les plus variés, une coopération mutuellement bénéfique basée sur les valeurs démocratiques fondamentales. A ce sujet, je souhaiterais souligner tout particulièrement l’importance de l’accord de Partenariat global et élargi entre l’Arménie et l’UE. Ce document inclusif constitue une base juridique solide pour le partenariat Arménie-UE tout comme pour la collaboration avec les pays membres de l’UE. La mise en application efficace de cet Accord consolidera la coopération dans les domaines les plus variés, tels que la justice, la sécurité, l’économie, l’agriculture et les infrastructures, l’environnement et le climat, l’éducation et les sciences, la culture, la santé, etc.

Le Partenariat oriental est aussi une plateforme de coopération importante et solide, et nous poursuivons notre implication active et nos efforts pour approfondir la collaboration et pour consolider l’inclusivité de ce format.

Comment qualifieriez-vous les relations qu’entretient l’Arménie avec l’Iran ?

Entre nos deux pays il existe une confiance mutuelle fondée sur des relations d’amitié historiques. Des deux côtés on remarque la volonté de développer davantage et d’approfondir les relations arméno-iraniennes basées sur le respect réciproque et la collaboration mutuellement avantageuse dans les domaines commercial, économique, politique et autre.

L’Arménie espère que les négociations sur le nucléaire iranien redémarreront et se dérouleront positivement; cela ouvrira la possibilité de lever les sanctions qui pèsent aujourd’hui sur l’Iran et pourra constituer un important accélérateur du développement de la coopération économique entre l’Arménie et l’Iran.

Où en est la négociation sur la libération des prisonniers de guerre ? 

La question du retour rapide des prisonniers de guerre et des otages civils arméniens continue à rester une question prioritaire pour nous. Depuis le cessez-le-feu, plus de 100 prisonniers sont rentrés en Arménie. Néanmoins, en violation flagrante du droit humanitaire international, des Conventions de Genève et du 8ème point de la déclaration tripartite du 9 novembre, l’Azerbaïdjan n’a toujours pas libéré l’ensemble des prisonniers qu’il maintient en détention.

La République d’Arménie fait un travail persévérant en vue du retour urgent de nos compatriotes dans notre pays ;  elle utilise toutes les plateformes, toutes les occasions pour soulever, à partir des tribunes internationales, cette question et pour la mettre en avant. Le Parlement européen, tout comme les Parlements de plusieurs pays ont adopté des résolutions appelant à la restitution des prisonniers de guerre arméniens, les dirigeants de nombreux Etats, des ecclésiastiques de haut rang, des personnalités du monde artistique et culturel, des parlementaires, des dizaines de défenseurs des droits de l’homme, des organisations telles que Human Rights Watch et Freedom House ont soulevé ce problème.

La partie arménienne a exposé la question des prisonniers de guerre et des civils détenus devant la Cour Internationale de Justice de l’ONU, dans le cadre de la procédure engagée par l’Arménie contre l’Azerbaïdjan. Je rappelle que l’Arménie accorde beaucoup d’importance à ce processus juridique.

Quelles sont les perspectives de développement de la collaboration entre la France et l’Arménie ?

Il existe des relations privilégiées entre la France et l’Arménie fondées sur l’amitié et sur des valeurs historiques et culturelles. Nous avons un dialogue politique de qualité élevée et de haut niveau avec la France, qui est activement mené à l’échelle des organes législatifs et des autorités régionales aussi. La coopération multisectorielle entre nos deux pays englobe l’économie, l’éducation, la science, la culture, la santé et pour ce qui est du contexte de l’après-guerre et de la lutte contre la pandémie, elle s’étend aussi à l’aide humanitaire.

La France figure dans les premiers rangs des investissements étrangers dans l’économie de l’Arménie. Un des acquis importants de la coopération franco-arménienne est l’Université Française (UFAR) qui, avec ses 20 vingt ans d’existence, est devenue un incubateur qui forme des spécialistes  hautement qualifiés pour le marché arménien.

La France est le premier Etat à avoir promulgué une loi reconnaissant le génocide et l’un de ces pays exceptionnels qui commémorent, comme en Arménie, le 24 avril comme une journée nationale de souvenir.

Pendant la guerre déclenchée contre l’Artsakh par l’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie, la France s’est toujours tenue à nos côtés, par ses déclarations sans équivoque, par ses initiatives visant à affronter les conséquences de la guerre et par une exceptionnelle solidarité nationale. Tout ceci s’est concrétisé par des décisions prononcées par le Sénat, l’Assemblée Nationale, ainsi que par une centaine de régions, départements et villes français en faveur de la reconnaissance de l’indépendance de l’Artsakh et de l’octroi d’aide humanitaire aux Artsakhiotes. Il y a quelques jours seulement, par un vote unanime du Conseil municipal de la ville de Paris, un vaste tronçon au cœur de la capitale, où se trouve le jardin d’Arménie et où est installée la statue du révérend Komitas, a été rebaptisé Esplanade d’Arménie, en signe de l’amitié franco-arménienne inébranlable et du soutien de la France en cette période pleine de difficiles épreuves pour l’Arménie et pour le peuple arménien.

En sa qualité de pays coprésident du groupe de Minsk de l’OSCE, la France, joue, avec la Russie et les Etats-Unis, un rôle essentiel dans le règlement pacifique de la question du Haut-Karabagh et particulièrement sur la question de la détermination définitive du statut de l’Artsakh. L’Arménie apprécie la grande attention accordée par la France et par le président Macron en personne au sort des prisonniers de guerre arméniens, et à la protection du patrimoine historico-culturel de l’Artsakh passé sous contrôle azerbaïdjanais.

La qualité exceptionnelle de notre dialogue politique avec la France nous oblige à approfondir notre agenda de coopération. Donc, je peux dire que les perspectives sur cette question sont limpides, puisque au plus haut niveau interétatique nous sommes en présence d’une parfaite réciprocité d’empressement et d’attentes.

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