INTERVIEW DE M. EDWARD NALBANDIAN, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES DE LA REPUBLIQUE D’ARMENIE A l’AGENCE ARMENPRESS

09 octobre, 2015

Armenpress: Pour commencer, pourriez-vous nous dire quels sont les raisons du rapprochement de l’Arménie avec la Francophonie ?

Edward Nalbandian: Il y a tout d’abord cet attachement à la culture et la langue française qui a certainement influé sur le regard que nous portons sur la Francophonie.

Il y a aussi cette relation forte, tissée dans l’histoire, entre l’Arménie et la France, et les sentiments profonds d’amitié qui lient les deux peuples. Ce n’est pas par hasard que l’on qualifie les relations entre l’Arménie et la France comme privilégiées.

Cette francophilie largement répandue dans la société arménienne s’accompagne d’un attrait pour la culture francophone et constitue le socle à partir duquel s’est développée la Francophonie en Arménie. A cela s’ajoute également l’existence de liens étroits noués entre l’Arménie et des pays tels que le Canada, La Belgique, la Grèce, mais aussi Chypre, le Liban, l’Egypte et beaucoup d’autres pays membres de la Francophonie.

Toutes ces raisons ont été les vecteurs du rapprochement de l’Arménie avec la Francophonie.

Nous avons par ailleurs assisté aux transformations qu’a connues la Francophonie durant les deux dernières décennies – la création de l’Organisation Internationale de la Francophonie – l’élection de Monsieur BOUTROS- GHALI en tant que premier Secrétaire général en 1998 - ; elles marquent déjà cette volonté d’inscrire la Francophonie en tant qu’acteur des relations internationales.

Avec l’adoption de la Déclaration de Bamako sur la démocratie et les droits de l’homme en 2000, la Francophonie acte sa volonté de promouvoir un message à portée universelle.
Elle s’affirme comme un espace de solidarité et de coopération au sein duquel les Etats et gouvernements membres peuvent développer leur relation dans les domaines économiques, politique, culturel et commercial sur un pied d’égalité.

C’est également la période ou la Francophonie poursuit son élargissement à des Etats dont le français n’est pas l’une des langues officielles du pays et proclame la diversité culturelle et linguistique comme l’une de ses priorités.

Armenpress: Quels sont vos apports personnels en faveur de la Francophonie ? quelles conséquences cela a-t-il eu ?

Edward Nalbandian: Ambassadeur de la République d’Arménie en France en poste à partir de 1999, j’ai assisté aux démarches en vue de promouvoir l’intégration de l’Arménie au sein de la Francophonie. Elle accédera ainsi, dans un premier temps, au statut de membre observateur en 2004 lors du Sommet d’Ouagadougou.

Les dispositions prises en vue du renforcement de la langue française dans le système éducatif arménien et de la promotion de la vie francophone en Arménie contribueront à la faire admettre au statut de membre associé de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en 2008 lors du Sommet du Québec (Canada).

Devenu Ministre des Affaires étrangères de la République d’Arménie en 2008, c’est, à ce titre, que j’ai participé à ce Sommet.

Armenpress: Quels évènements ont marqué depuis les relations entre l’Arménie et la Francophonie?

Edward Nalbandian: Le processus d’intégration s’est poursuivi; j’ai eu à cœur, que la présence de l’Arménie au sein de la Francophonie soit pleine et entière.

L’adhésion de l’Arménie en tant que membre de plein droit de l’OIF en 2012 au Sommet de Kinshasa est venue couronner de succès l’action que nous menons en faveur de la Francophonie et de ses valeurs fondamentales.

La Saison de la Francophonie en Arménie, avec ses centaines manifestations culturelles et éducatives francophones, est, depuis plusieurs années maintenant, un événement phare de la vie culturelle arménienne; en 2015, plus de 450 manifestations auront été organisées à Erevan et dans toutes les régions d’Arménie.

Le Pacte linguistique signé en 2012 entre l’Arménie et la Francophonie aura notamment permis de conforter l’enseignement de la langue française dans notre système éducatif et la place du français dans nos universités.

La coopération décentralisée francophone s’est notoirement développée; à cet égard, l’Assemblée générale de l’Association Internationale des Maires Francophones s’est tenue à Erevan en octobre 2011.

Les liens entre L’Assemblée Parlementaire de la Francophonie et le Parlement arménien se sont renforcés et ont donné à notre coopération francophone cette dimension parlementaire si nécessaire; l’adhésion du Parlement d’Arménie en tant que membre à part entière de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie en juillet 2014 a été la conclusion logique de ce rapprochement.

Comment ne pas voir à travers toutes ces réalisations, l’expression de l’ancrage de la Francophonie dans notre pays.
Cette adhésion a, par ailleurs, permis à mon pays de développer plus encore ses relations avec les Etats et gouvernements membres de la Francophonie, et de renforcer plus particulièrement ses contacts avec les pays d’Afrique francophones.

Je me réjouis que l’Arménie soit devenue aujourd’hui un des membres des plus actifs de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

Il m’importe, à cet égard, de souligner la qualité du partenariat qui nous unit avec l’OIF. L’Arménie est pleinement investie dans les travaux de ses instances; notre représentant l’Ambassadeur Christian Ter-Stépanian auprès de l’OIF préside actuellement l’importante Commission de coopération et de programmation du Conseil Permanent de la Francophonie.

La tenue en Arménie au mois d’octobre 2015 de la Conférence ministérielle de la Francophonie, sera un événement marquant de la vie de l’Organisation et une occasion supplémentaire de témoigner notre attachement à la Francophonie.

Nous nous sommes félicités de l’élection de Madame Michaelle JEAN en tant que Secrétaire générale de la Francophonie; notre première rencontre à Paris m’a permis de constater la concordance de vues sur les activités et missions de la Francophonie; j’ai tenu à l’assurer de tout notre soutien dans l’exercice de sa mission. J’ai également souhaité la remercier pour s’être associée, le 24 avril dernier, aux commémorations du centenaire du génocide arménien.

Lors des rencontres suivantes, nous avons évoqué la préparation de la Conférence ministérielle et je lui ai fait part du plaisir que nous aurons à l’accueillir, en cette circonstance, pour sa première visite officielle en Arménie.

Armenpress: Quelles sont vos attentes de la Conférence ministérielle qui se réunira à Erevan les 10 et 11 octobre prochain.

Edward Nalbandian: La 31ème Session de Conférence ministérielle de la Francophonie sera inaugurée par le Président de la République d’Arménie M. Serzh Sargsyan.

Cette conférence nous donnera l’occasion d’avoir des échanges sur les questions d’actualités. Celles-ci ont braqué ses feux sur certaines crises politiques, qui marquent y compris l’espace francophone. Nous aurons à examiner ces situations et, dans ce cadre, réaffirmer notre soutien aux efforts déployés par la Secrétaire générale de la Francophonie pour accompagner ces pays sur la voie de la stabilité et dans leur transition démocratique. Il y a aussi l’ampleur des mouvements de réfugiés et des migrants et leur état de vulnérabilité qui sont venus interpeller nos consciences.

Ces mouvements concernent un grand nombre d’Etats dans l’espace francophone ; je dois dire, à cet égard, que l’Arménie n’a pas été épargnée par ce phénomène puisqu’elle a accueilli, au cours de la période récente, près de 17000 réfugiés en provenance de Syrie.

Il y va, tout d’abord, de notre responsabilité à veiller au respect de la dignité des réfugiés et personnes déplacés et d’assurer leur protection, comme nous y engage la Déclaration de Saint Boniface.

Il nous appartient également de contribuer à réduire les facteurs à l’origine de ces mouvements migratoires.

Sachant que le plus grand nombre de ces migrants fuient les zones de conflits armés, le retour à une situation sécurisée dans ces zones doit certainement être un objectif prioritaire recherché.

Il y a enfin le fléau du terrorisme, personnifié par Daesch et les autres groupes terroristes, qui constitue une menace pour le monde civilisé. Contre ce danger, une lutte impitoyable doit être menée.

Ce sont là un ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés, à propos desquels la Francophonie doit continuer à développer sa réflexion et apporter ses réponses, en liaison avec ses partenaires internationaux.

Ces sujets seront certainement au centre de nos discussions lors de la rencontre ministérielle d’Erevan.

Nous avons aussi souhaité que les débats de la Ministérielle portent également sur le climat de haine et de xénophobie qui sévit dans la société; un tel environnement se nourrit naturellement des phénomènes et maux auxquels j’ai déjà fait référence. Il représente, pourtant, un autre défi dont il faut nous saisir pour éviter que cet environnement néfaste se propage, avec les conséquences dramatiques inévitables que cela pourrait entraîner.

Cette année du centenaire du génocide arménien que nous commémorons, nous rappelle, plus que jamais, la nécessité de faire œuvre de prévention des crimes contre l’humanité.

L’autre question cruciale qu’il nous importait d’inscrire à l’ordre du jour de nos travaux, concerne la lutte contre les changements climatiques, dans la perspective de la 21ème
Conférence des parties qui se réunira à Paris à la fin du mois de novembre.

Je tiens, à cet égard, à féliciter la Présidence sénégalaise de la Conférence ministérielle, pour avoir organisé, le 28 septembre dernier, un événement francophone de haut niveau sur le développement durable, sous le haut patronage de Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal.

Nous avons, pour notre part, voulu que la Conférence ministérielle de la Francophonie réaffirme ses positions en faveur d’un accord universel et ambitieux, en présentant conjointement avec la France et Madagascar, un projet de résolution sur cette question.

L’ensemble de ces initiatives portent le témoignage de la mobilisation des Etats et gouvernements membres de la Francophonie pour assurer le succès de la Conférence.

Armenpress: Pouvez-vous aborder la position de l’OIF sur la situation dans notre région ?

Edward Nalbandian: Vous le savez, la situation dans le conflit du Haut-Karabakh requiert toujours toute notre attention.

Il m’importe, à cet égard, de revenir sur les derniers développements intervenus dans le conflit du Haut-Karabakh et d’exprimer toutes nos préoccupations à l’égard des violations graves et répétées du cessez-le-feu par l’Azerbaïdjan, qui causent de nombreuses pertes en vie humaine. Nous tenons à condamner fermement cette escalade de la violence.

Le rejet systématique par l’Azerbaïdjan des propositions de règlement de ce conflit faites par les co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE, la recrudescence de ses provocations militaires délibérées, son refus de mettre en place un mécanisme de surveillance du cessez-le-feu proposé par l’OSCE, témoignent de la responsabilité portée par ce pays pour l’accroissement des tensions sur le terrain, qui entrave les efforts de la communauté internationale pour une solution pacifique de cette question.

L’Arménie reste, pour sa part, pleinement engagée dans ces pourparlers de paix et continuera, avec les trois co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE, à œuvrer en faveur d’un règlement exclusivement pacifique et négocié de ce conflit.

Je rappelle, à cet égard, que, lors du Sommet de la Francophonie à Dakar, les Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays ayant le français en partage ont affirmé leur plein soutien aux efforts des co-présidents du Groupe de Minsk de l’OSCE en vue du règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh;

Ils ont également appelé toutes les parties au conflit à s’abstenir de toute tentative de recours à la menace ou à l’emploi de la force qui risquerait de compromettre l’avenir du processus de paix, et les ont invitées à poursuivre les négociations sur la base des principes proposés par les co-présidents du Groupe de Minsk, comme un ensemble indivisible, en particulier ceux qui se rapportent au non recours à la force ou à la menace de la force, à l’intégrité territoriale, à l’égalité de droits et à l’autodétermination des peuples comme fondement d’une solution équilibrée et durable à ce conflit.

Armenpress: Avez-vous eu des relations particulières avec telle ou telle figure de la Francophonie?

Edward Nalbandian: Vous ne serez sans doute pas étonné si j’évoque le Président Abdou DIOUF, cette personnalité remarquable qui a tant contribué au rayonnement de la Francophonie.

Durant plus de dix ans, il a présidé, avec grandeur, aux destinées de notre Organisation.

Il nous a accompagnés durant tout le processus d’intégration de l’Arménie au sein de la Francophonie. Dans ce contexte, j’ai été amené à mieux le connaitre et à apprécier les qualités humaines qui sont les siennes.

Nous gardons encore à l’esprit la visite officielle qu’il a effectuée en Arménie en avril 2010 et avons été très sensibles aux marques d’intérêts qu’il a témoignées envers le peuple arménien, sa culture, son histoire.

Je voudrais également noter mon amitié personnelle envers le premier Secrétaire général de la Francophonie M.Boutros BOUTROS GHALI, avec qui j’ai noué des liens personnels dans les années 1990, quand j’étais en poste en Egypte.

Armenpress: Quel est votre sentiment sur l’évolution de la place de la Francophonie au niveau international ?

Edward Nalbandian: L’élargissement continue de la Francophonie à des pays venus des différents continents démontre l’attractivité qu’exerce la Francophonie dans le monde. L’OIF est un acteur influent des relations internationales au service de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme. Tout porte à croire que son influence ira en grandissant ; c’est, en tout cas, l’ambition que nous pouvons nourrir pour le futur.

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